Le livre de la Voie et de la vertu - Laozi (Laotseu) 道德经-老子
Chapitre 66
江海所以能为百谷王,以其善下之,故能为百谷王。
是以圣人欲上人,必以言下之;欲先人,必以身后之。
是以圣人处上而人不重,处前而人不害,是以天下乐推而不厌。
以其不争,故天下莫与之争。
Pourquoi les fleuves et les mers peuvent-ils être les rois de toutes les eaux ?
Parce qu'ils savent se tenir au-dessous d'elles.
C'est pour cela qu'ils peuvent être les rois de toutes les eaux.
Aussi lorsque le Saint désire d'être au-dessus du peuple, il faut que, par ses paroles, il se mette au-dessous de lui.
Lorsqu'il désire d'être placé en avant du peuple, il faut que, de sa personne, il se mette après lui.
De là vient que le Saint est placé au-dessus de tous et il n'est point à charge au peuple ; il est placé en avant de tous et le peuple n'en souffre pas.
Aussi tout l'empire aime à le servir et ne s'en lasse point.
Comme il ne dispute pas (le premier rang), il n'y a personne dans l'empire qui puisse le lui disputer.
(530) H : Dans ce chapitre, Lao-tseu apprend aux rois à s'oublier eux-mêmes (littér. « il leur enseigne la vertu qui consiste à ne pas avoir le moi, en allemand das Ich »).
E : On définit ainsi le mot wang « roi » : c'est celui vers lequel tout l'empire va (wang) pour se soumettre à lui. (Il y a ici une espèce de jeu de mots.) Les ruisseaux de tout l'univers se rendent dans les fleuves et les mers, comme pour se soumettre à eux ; c'est pourquoi les fleuves et les mers sont les rois de tous les courants. Comment obtiennent-ils cela (c'est-à-dire que les courants se rendent dans leur sein) ? C'est uniquement parce qu'ils sont situés au-dessous de tous les courants. (Cf. chap. LXI.)
(531) A : Le roi doit s'abaisser comme les fleuves et les mers. Liu-kie-fou : Lorsque le roi s'appelle lui-même orphelin, médiocre, dénué de vertu, on voit que par ses paroles il se met au-dessous du peuple.
Ou-yeou-thsing : Le Saint est d'une modestie, d'une humilité si éminentes, qu'il se voit placé au-dessus et en avant des hommes sans l'avoir désiré (et comme à son insu). Le lecteur, dit Ou-yeou-thsing (doit aller au devant du sens) ; il ne doit pas, suivant l'expression de Meng-tseu, dénaturer la pensée de l'auteur en s'attachant servilement à la lettre.
(532) E : Les hommes aiment naturellement à empiéter sur les droits de leurs supérieurs ; mais, comme le Saint peut s'abaisser au-dessous des hommes et se placer après eux, quoiqu'il soit élevé au-dessus d'eux, ils le portent (sic) avec joie et ne le trouvent pas lourd, c'est-à-dire : il ne leur est point à charge. (Liu-kie-fou : Ils le trouvent léger ; Li-si-tchaï : Ils ne s'aperçoivent pas qu'ils ont un roi.)
(533) H : Pou-i-weï-haï « il (le peuple) n'en éprouve pas de dommage ». Liu-kie-fou, même sens : i-tsong-tchi-weï-li « il trouve qu'il est avantageux de le suivre et de lui obéir ».
Aliter E : Quoiqu'il soit placé en avant des hommes, ceux-ci se réjouissent de le suivre et n'ont nulle intention de lui nuire, eul-wou-chang-haï-tchi-sin.
(534) B explique tchouï par sse « servir », et E par jang « céder le pas à, obéir à », même sens. A le rend par thsin « pousser en avant ». Ils aiment à le mettre en avant, à le présenter pour qu'il devienne leur maître.
(535) E : S'il était élevé au-dessus des hommes et qu'il leur fût à charge ; s'il était placé en avant des hommes et qu'ils lui fissent du mal (H : et qu'ils en souffrissent), alors, quoiqu'ils lui obéissent, ils ne s'en réjouiraient pas ; s'ils s'en réjouissaient, ils ne manqueraient pas de s'en lasser. Mais, comme il ne leur est point à charge, et qu'ils ne veulent pas lui faire du mal (cf. H, E, note 533), ils aiment à le servir, et jusqu'à la fin de leur vie ils ne se lassent point de lui.
(536) E : Les mots hia-jin « il s'abaisse au-dessous des hommes », heou-jin « il se met après les hommes », renferment implicitement l'idée de pou-tseng « non contendit ». C'est pourquoi tout l'empire aime à le servir et ne s'en lasse pas. On voit par là que, dans tout l'empire, personne ne peut lutter avec lui.