Le livre de la Voie et de la vertu - Laozi (Laotseu) 道德经-老子
Chapitre 56
知者不言,言者不知。
塞其兑,闭其门,挫其锐,解其忿,和其光,同其尘,是谓玄同。
故不可得而亲,不可得而疏;不可得而利,亦不可得而害,不可得而贵,亦不可得而贱。
故为天下贵。
L'homme qui connaît (le Tao) ne parle pas ; celui qui parle ne le connaît pas.
Il clôt sa bouche, il ferme ses oreilles et ses yeux, il émousse son activité, il se dégage de tous liens, il tempère sa lumière (intérieure), il s'assimile au vulgaire. On peut dire qu'il
ressemble au Tao.
Il est inaccessible à la faveur comme à la disgrâce, au profit comme au détriment, aux honneurs comme à l'ignominie.
C'est pourquoi il est l'homme le plus honorable de l'univers.
(443) E : Le Tao est caché ; il n'a pas de nom. Ceux qui le connaissent le méditent en silence. Mais ceux qui cherchent à briller par l'éclat et l'élégance de la parole sont des hommes qui ne connaissent pas le Tao.
(444) Ces six phrases se trouvent dans le chap. IV. (Cf. ibid. n. 031.)
H : Le mot touï désigne ici « la bouche ». Le Saint se conserve dans le calme et dans le silence. Il réprime l'intempérance de sa langue. B : Il n'ose parler. (Cf. chap. LII, n. 413.)
(445) H : Le mot men , « portes », désigne ici « les oreilles et les yeux ». Il ne fait aucune attention aux choses qui peuvent flatter ses oreilles et ses yeux. C : Il concentre intérieurement sa faculté de voir et d'entendre. (Cf. chap. LII, n. 414.)
(446) Ce passage a reçu plusieurs interprétations. H (au chap. IV) explique les mots thso-khi-jouï par : « il réprime la fougue de son caractère ». A : Si ses passions veulent montrer de l'activité, il pense au Tao et les réprime par le non-agir. E, ibidem, explique ces trois mots par : « il fait usage de la souplesse et de la faiblesse », c'est-à-dire, il plie au lieu de résister, il paraît faible au lieu de vouloir déployer la force et la violence qui entraînent l'homme à sa perte. (Cf. chap. LV, n. 441.)
J'avais traduit (p. 16) : « il émousse sa subtilité », et cette interprétation est conforme à celle que donne ici H : S'il rencontre une chose confuse, il ne laisse pas voir sa pointe, c'est-à-dire la finesse de son esprit (il n'emploie point la finesse de son esprit pour la pénétrer). La première interprétation de H (au chap. IV) me paraît aujourd'hui préférable.
(447) Dans le chapitre IV, j'ai traduit, d'après E : « Il se dégage de tous liens », c'est-à-dire, des liens du siècle. Aliter H. Cet interprète explique (chap. IV) le mot fen par « la confusion (fen) des opinions favorables ou contraires ». Chacun, dit-il, tient à l'approbation ou au blâme qu'il a une fois exprimés ; dans le conflit des opinions populaires, personne ne peut dissiper les doutes pour établir la vérité. Mais celui qui possède le Tao peut seul y réussir sans parler. Dans ce passage-ci (chap. LVI), Il explique fen (vulgo « confus »), par « les pensées confuses », c'est-à-dire les pensées qui jettent son âme dans la confusion. Son cœur et son corps sont dans une quiétude parfaite ; il se dégage de toutes pensées.
(448) E (chap. IV) : Il jette de l'éclat, mais il n'éblouit personne.
(449) H : Il s'est élevé à la sublimité du Tao, il a pris son essor au-dessus du siècle (littéral. « de la poussière »), et cependant (E chap. IV), à le juger extérieurement, il n'a rien qui le distingue des autres êtres.
(450) Sou-tseu-yeou explique les mots hiouen-thong par iu-tao-thong « il est semblable au Tao ». Aliter E : Les mots hiouen-thong (littéral. « profond et semblable »), signifient : « Il est grandement semblable aux êtres ; mais il est tellement « profond qu'on ne peut le connaître ».
(451) Sou-tseu-yeou : Celui qu'un prince peut honorer de sa faveur (littéral. « rapprocher de lui ») peut aussi être disgracié (littéral. « éloigné, écarté »). Si l'on peut procurer du profit à quelqu'un, on peut aussi lui causer du dommage ; si l'on peut lui accorder dos honneurs, on peut aussi le dégrader. Mais le sage qui s'est identifié avec le Tao met au même niveau toutes les choses du monde ; il ne fait attention ni à la faveur ni à la disgrâce, il regarde du même œil le bonheur et l'adversité, le profit et le détriment. Il ne connaît ni la gloire, ni l'ignominie, et, pour lui, il n'existe ni noblesse, ni roture, ni élévation ni abaissement.
E : Comme il a peu de désirs et peu d'intérêts privés, on ne peut lui procurer du profit ; comme il possède la plénitude de la vertu (voyez, chap. IV), on ne peut lui faire du mal ; comme il ne désire ni la faveur des princes ni la gloire, on ne peut lui accorder des honneurs ; comme il ne dédaigne pas une condition basse et abjecte, il est impossible de l'avilir. C'est là le caractère d'une vertu parfaite ; c'est pourquoi il est l'homme le plus honorable du monde.