(008) E : Dans la haute antiquité, tous les peuples avaient de la droiture, et ils ne savaient pas qu'ils pratiquassent l'équité. Ils s'aimaient les uns les autres, et ils ne savaient pas qu'ils pratiquassent l'humanité. Ils étaient sincères, et ils ne savaient pas qu'ils pratiquassent l'honnêteté. Ils tenaient leurs promesses, et ils ne savaient pas qu'ils pratiquassent la fidélité dans les paroles. En voici la raison : tous les peuples étaient également bons et vertueux ; c'est pourquoi ils ne savaient pas distinguer les différentes nuances de vertus (littéralement, « ils ne savaient pas que le beau moral et le bien, τό καλόν, τό αγαθόν, fussent différents »). Mais, dans les siècles suivants, l'apparition du vice leur apprit, pour la première fois, à reconnaître la beauté morale ; l'apparition du mal leur apprit, pour la première fois, à reconnaître le bien. Quand le siècle fut dépravé davantage, le beau et le bien parurent avec plus d'éclat.
(009) E : Les comparaisons qui suivent ont pour but de montrer que la beauté morale et le vice, le bien et le mal se font ressortir mutuellement par leur opposition (littéralement, « se donnent mutuellement leur forme »), et montrent mutuellement leur inégalité, leur différence.
B : Lao-tseu veut dire que, dès qu'on voit le beau moral, on reconnaît l'existence du vice (littéralement, « du laid »). Dès qu'on remarque le bien, on reconnaît l'existence du mal. L'homme doit tenir son cœur dans l'obscurité et renouveler sa nature ; oublier le beau moral et le vice, le bien et le mal. S'il ne songe plus au beau moral, alors il n'y aura plus pour lui d'actions vicieuses ; s'il ne songe plus au bien, alors il n'y aura plus pour lui d'actions mauvaises.
(010) A : En voyant l'être on se fait une idée du non-être.
B : Le non-être produit l'être ; l'être produit le non-être. Ibid. Les êtres, ne pouvant subsister éternellement, finissent par retourner au non-être.
(011) B : S'il n'y avait pas de choses difficiles, on ne pourrait faire des choses faciles (ce sont les choses difficiles qui font juger des choses faciles) ; s'il n'y avait pas de choses faciles, comment arriverait-on à faire des choses difficiles ? Le facile résulte du difficile ; le difficile résulte du facile.
(012) B : On reconnaît qu'une chose est courte en la comparant à une chose longue, et vice versa. Liu-kie-fou : Lorsqu'on a vu la longueur de la jambe d'une cigogne, on reconnaît combien est courte la patte d'un canard, et vice versa.
(013) B : Si je monte sur une hauteur et que je regarde au-dessous de moi, je remarque combien la terre est basse. Si je suis dans une plaine et que je lève les yeux, je suis frappé de la hauteur d'une montagne.
(014) B : Sans la connaissance des tons on ne pourrait faire accorder les voix (on ne pourrait reconnaître l'accord harmonieux des voix) ; sans la voix on ne pourrait former des tons.
Suivant C, ce passage s'appliquerait à la voix et à l'écho qui y répond du sein d'une vallée profonde.
(015) B : En voyant que cet homme marche devant moi, je reconnais qu'il me précède et que je le suis ; en le voyant après moi, je reconnais que je le précède et qu'il me suit. Le rang postérieur résulte du rang antérieur ; le rang antérieur résulte du rang postérieur.
(016) E : Le Saint se sert du Tao pour convertir le monde. Ses occupations, il les fait consister dans le non-agir ; ses instructions, il les fait consister dans le non-parler, le silence (c'est-à-dire (C) qu'il instruit par son exemple et non par des paroles). Il cultive le principal et ne s'appuie point sur l'accessoire. Le monde se convertit et l'imite. Ceux qui ne sont pas vertueux réforment leurs habitudes, et la vertu éminente passe dans les mœurs.
(017) A : Chacun d'eux se met en mouvement (pour naître) ; il ne leur refuse rien et n'arrête pas leur développement. E : Tous les êtres naissent en invoquant l'appui du Saint. Il peut leur fournir tout ce dont ils ont besoin, et ne les repousse pas.
(018) E : Il peut les faire naître et ne les regarde pas comme étant sa propriété.
(019) E : Il peut les faire (ce qu'ils sont), mais jamais il ne compte sur eux pour en tirer profit.
(020) E : Quand ses mérites sont accomplis, jusqu'à la fin de sa vie, il les considère comme s'ils lui étaient étrangers, et ne s'y attache pas. — A : Il ne se glorifie pas de sa capacité.
(021) E ; Il ne s'attache pas à son mérite, c'est pour cela qu'il a du mérite. S'il s'attachait à son mérite, s'il s'en glorifiait, il le perdrait entièrement.
Aliter A : Le bonheur et la vertu subsistent constamment ; ils ne s'éloignent jamais de lui.